2011

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Monsieur, Madame,

C’est avec l’habituel honneur que je dépose ma candidature au poste convoité d’équipier polyvalent. La première fois que je vous écrivais, j’avais pu vivre l’expérience Pomme de Pain, une expérience unique, unique puisque seule à ce jour. J’étais alors simplement aidé d’un sandwich au thon, avec de la salade. Aujourd’hui, la longue – et unilatérale – correspondance que nous nous échangeons semble rendre des présentations presque superflues. Je tiens à vous faire savoir qu’outre mes qualités d’équipier polyvalent chez McDo et d’apprenti volailler j’ai eu l’inestimable chance d’accéder au poste de gestionnaire de frais de santé au sein d’une grande entreprise de courtier en assurances.

Ce poste m’a permis de traiter à la chaîne des décisions impactant la vie de centaines de personnes, sans jamais sourciller ou considérer autre chose que les problèmes techniques posés par le logiciel employé. Mais parlons de ce dernier, il était finalement comme un collègue pour moi. J’ai appris à faire de la machine un membre de l’équipe à part entière. Il était d’ailleurs difficile de distinguer l’humain de la machine dans les différentes séquences consistant à exister aux yeux de l’entreprise par le prisme d’une badgeuse, se remplir d’un fluide brunâtre issu d’une machine à café, écouter les paroles de collègues colportant les dires entendus dans la sainte boîte à image, ou parfois au poste de radio.

C’est dans la clôture d’un open space, que j’ai pu m’épanouir au sein du monde du travail, c’est-à-dire mesurer l’insignifiance de ma vie. J’ai toutefois étoffé ma palette de sentiments en étant pris de pitié, quand, avec des collègues, nous recevions certains appels. Le plus souvent, un client faisait observer qu’un remboursement de prothèse ne couvrait à peine qu’un pourcent de la somme déboursée, soit moins que le prix d’un menu Grilladin. L’espace d’un instant, nous étions fort contrits, contemplant la détresse d’un assuré ayant avancé une somme à quatre chiffre, qu’il ne reverrait jamais face à l’absurdité des consignes que nous devions respecter, puis, avalant une dernière gorgée de café, nous reprenions immédiatement le travail avec méthode.

Ces compétences sont plus que nécessaires à Pomme de Pain. C’est avec des exécutants acharnés que l’on produit les meilleures machines. Entre mon expérience sur les marchés et mes compétences acquises dans le monde de l’assurance, je suis devenu capable de broyer des vies, tout en les servant, bien nichées au cœur d’un sandwich, à une clientèle tentant d’assurer la reproduction de sa force de travail afin de continuer à faire tourner la grande machine civilisée.

Th. Bramberg, rouage émérite